Revel et Aron
"Pour Jean-François Revel "
C'est le titre du livre que Pierre Boncenne consacre à l'un de mes maîtres. Angelo Rinaldi lui consacre un bel article dans Marianne. J'ai lu Jean-François Revel pendant ses années à l'Express. Le journal qu'il fit lorsqu'il en était le directeur n'a jamais été égalé. C'était à la fin des années Giscard, et donc la fin des années 70. Le quatuor d'éditorialistes était formé par lui-même, Raymond Aron, Max Gallo et Olivier Todd. Je ne crois pas que l'on ait jamais retrouvé une telle force de frappe intellectuelle et journalistique depuis ces années 70 à l'Express.
Revel et Aron
Kant est-il poète?
Mes années scolaires et universitaires furent un désert. Il n'y a aucun professeur dont je puisse me souvenir et qui m'ait appris quelque chose. Je me considère comme un autodidacte. Revel et Aron furent donc mes profs. Aron raconte qu'il passât une année entière à Normale Sup à lire et méditer les 3 critiques de Kant. Une fois cette épreuve passée, pendant longtemps il mesurait la difficulté d'un livre, par comparaison avec La critique de la raison pure. Qu'un esprit aussi aiguisé, et qui prouvât son génie par la suite, ait pu autant peiné à la lecture de ce monument m'a donné le courage de m'y attaquer. Je suis assez fier de pouvoir dire que je le finirai bientôt. Non, je n'ajouterai pas ici un commentaire supplémentaire à cette oeuvre. Je veux seulement témoigner, moi aussi, que rien ne vaut la lecture de l'original, et que tous les commentaires du monde ne remplacent pas cet effort, de faire les choses, et de penser, par soi-même.
On ne peut pas dire que Kant ait cherché à aérer sa démonstration par des images ou des comparaisons. Le sujet ne s'y prête pas, à chercher les conditions "a priori" de notre savoir. Et pourtant, lui aussi, quand il veut, peut être poète comme ce célèbre passage de la colombe:
« La colombe légère, lorsque, dans son libre vol, elle fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait s’imaginer qu’elle réussirait bien mieux encore dans le vide. C’est justement ainsi que Platon quitta le monde sensible parce que ce monde oppose à l’entendement trop d’obstacles divers, et se risqua au-delà de ce monde, sur les ailes des idées, dans le vide de l’entendement pur. "
Cette métaphore de la colombe, et le bonheur de l'homme Raymond Aron, auraient pu figurer dans "Une anthologie de la poésie française" que fit paraître Jean-François Revel. Ils n'y sont pas. Cela n'aurait pas fait peur à Jean-François qui se moquait bien des conformismes. Dans cette anthologie, pas d'Aragon ni de Claudel. On ne s'en plaindra pas. Pas de Corneille, je le déplore.
Revel écrivit aussi un « Sur Proust » qui ne m'a toujours pas convaincu de l'intérêt de cet écrivain. Je tente, sans conviction, de m'intéresser périodiquement aux aventures des duchesses du Boulevatrd Saint Germain. J'ai le regret d'affirmer que leurs états d'âme me sont totalement indifférents.
De Revel à René Char
Où l'on rencontre à nouveau Heideggerr
Ainsi donc, Aron lisait « Sein und Zeit », au son des bombardements allemands. Il ne dit pas, dans ses mémoires, ce qu'il en a pensé. Etrangement, René Char et Heidegger se rencontrèrent dans les années 50, par l'intermédiaire de Jean Baufret. Heideggerr cherchait-il un certificat d'anti-nazisme auprès du résistant René Char? Ils partageaient l'admiration des anciens grecs et des pré-socratiques, en particulier d'Héraclite. L'un comme l'autre cherchait à se dégager de la philosophie classique, jusqu'à la destruction de celle-ci. La destruction étant à prendre ici au sens de Char : « Si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux ».
Revel, lui, « fut l'un des premiers à flairer le fumet de nazisme s'élevant du brouet heideggérien». Je n'ai pas suffisamment d'éléments pour trancher sur la polémique concernant Heidegger et sa complicité, voire plus, avec le nazisme. Pour être optimiste, on postulera que, pendant ces jours de rencontre avec René Char, Heidegger était « receleur de son contraire ».
Exercices d'admiration